Lorsqu'il pose ses santiags à Paris, en mai dernier, Sonny Barger arrive, précédé de sa légende. Le vieux « Hells Angel » vient fêter les 60 ans de son club, celui d'Oakland (Californie), berceau des 444 revendiqués de par le monde. Barger, 79 ans, c'est un peu le père de la lignée, l'Abraham des « bikers ».
En voyant ce sympathique grand-père, qui semble avoir tiré un trait sur son passé agité, on pourrait voir les Hells Angels comme une paisible confrérie de rouleurs de mécaniques. Surtout lorsqu'ils organisent des rassemblements destinés à récolter des peluches pour les enfants malades. Et pourtant, la police est dans leur roue. Le dernier rapport du Sirasco, le service de renseignement criminel sur le crime organisé de la PJ, qui doit être dévoilé ce vendredi matin, leur consacre une place de choix. Les Hells, au même titre que leurs rivaux, Bandidos et Outlaws, sont en effet assimilés par les autorités à des « groupes de motards criminalisés ».
Le premier club français des Hells — on parle de « chapitre » — s'installe à Paris en 1981 (ils sont 8 aujourd'hui). Les Bandidos (12 chapitres) débarquent à Marseille huit ans plus tard. Ces motards, forcément masculins, se réunissent en petites structures associatives, au sein desquelles la répartition des rôles apparaît bien huilée : « président, vice-président, sergent d'armes (responsable de la discipline interne), "road captain" » (capitaine de route) ».
Ils seraient quelques centaines en France. « Leur implantation géographique répond à des motifs stratégiques de maîtrise d'un territoire, assure la commissaire Cécile Augeraud, chef du Sirasco. En France, contrairement à d'autres pays, ils conservent un fonctionnement très orthodoxe dans leur recrutement, ce processus d'adoubement limitant les risques d'infiltration. Pendant deux ans, le candidat gravite en marge du chapitre. Il est alors en phase d'observation dans laquelle on teste sa disponibilité, qu'il s'agisse par exemple de transporter une arme ou de voler une moto. » L'impétrant est ensuite autorisé à porter sur son blouson les « couleurs », l'uniforme des bikers. Jaune et rouge pour les Bandidos. Rouge et Blanc pour les Hells. Noir et Blanc pour les Outlaws. « Depuis mars, en Allemagne, il est interdit de porter les couleurs, précise Cécile Augeraud. Cela reste autorisé en France, ce qui explique que les grands rassemblements récents aient eu lieu sur notre sol », comme en juillet dernier à Arles (Bouches-du-Rhône), où plus de 2 000 Harley Davidson étaient présentes.
En novembre 2015, dix membres des Hells étaient jugés à Bordeaux (Gironde), soupçonnés de l'incendie d'un magasin concurrent de motos à Biscarrosse (Landes) et parallèlement, d'avoir alimenté un trafic de cocaïne et de motos volées. Quelques mois plus tôt, un tatoueur de l'Oise, membre lui aussi du même groupe, était condamné à douze mois de prison à Reims (Marne), après la découverte d'un pistolet-mitrailleur. En août 2013, la police saisissait une quinzaine de carabines, pistolets-mitrailleurs et armes de poing, chez les Bandidos cette fois, après des échanges de tirs à Dijon (Côte-d'Or).
La question est évidemment de savoir si ces affaires sont imputables à des dérives individuelles ou sont révélatrices d'un fonctionnement mafieux. Ce qui est certain, c'est que les Hells cultivent un fonctionnement clanique. Les détenus qui conservent la confiance de l'organisation derrière les barreaux sont proclamés « Big house crew » (BHC), assurance d'un soutien juridique et financier. Devenant à leur façon des prisonniers politiques. A l'inverse, ceux qui sont excommuniés s'exposent à des amendes et sont contraints d'effacer leurs tatouages, signe d'une mort sociale.
Les analystes du Sirasco ont alerté les enquêteurs de terrain sur l'importance des objets trouvés en perquisition, certains d'entre eux montrant le niveau de responsabilité au sein de l'organisation. Comme ce marteau destiné à écraser les têtes de vis, baptisé « ball-peen hammer ». Le simple fait de la poser sur la table lors d'une rencontre représente « une menace implicite ».
Mais si les « gangs de motards » représentent une telle menace pourquoi ne pas les interdire ? « Impossible de le faire sans toucher au statut des associations loi 1901 », répond-on du côté du ministère de l'Intérieur. Du côté des Hells Angels de Paris, on indique avoir fait depuis longtemps le choix « de ne plus parler du club aux médias, [leurs] propos étant toujours déformés ». « Nous sommes un club de motards et le revendiquons. Et, en aucun cas, un gang criminel ! » fait-on valoir. De sa voix martyrisée par une ablation du larynx, Barger, le vieux Hells, s'efforce lui aussi de balayer le soupçon. Appartenir aux Hells, dit-il, c'est « s'amuser et faire de la moto ». Born to be fun